[par Sophie Voisin]
À la mi-février, descendant la rue de Ménilmontant, j’ai eu la surprise de voir que la démolition des bâtiments de la Miroiterie était en cours. Même si je n’ai pas fréquenté le lieu personnellement, il faisait partie de mon paysage depuis presque trente ans.
Cet ensemble de huit bâtiments disposés le long d’une courette en impasse avait été construit en 1930 par la famille Pipard sur une ancienne parcelle de vignes.
De 1945 à 1973, le peintre Daniel Pipard, surnommé le «Duc de Ménilmuch’ » en fait un haut lieu culturel, fréquenté par Prévert, Doisneau, Vian, Guitry et autres artistes renommés de l’époque. Le Duc meurt renversé par une voiture en 1978.
Succède une activité de miroiterie, déjà partiellement en place à l’époque du Duc. Elle perdurera vingt ans jusqu’à ce qu’un jeune ouvrier (le fils du patron, disait-on) meure, renversé par une voiture en descendant de son camion – l’Histoire bégaie parfois…
Je m’en souviens, c’était une belle journée de printemps, l’émotion avait été grande dans le quartier.
En 1999, des squatteurs ont investi les lieux. Il y avait des repas collectifs, un vestiaire où on pouvait déposer et prendre des vêtements gratuitement, des prestations musicales et plastiques de tous genres. La porte de l’allée et celle de la boutique étaient presque toujours ouvertes. L’occupation des lieux était tolérée par les autorités et s’intégrait au quotidien.
Jusqu’à cette année - ça devait être vers 2005 - où une histoire pas très claire impliquant un résident a donné lieu à une enquête de police. Le squat, s’il est resté toujours actif, est apparu moins accessible au simple passant. Malgré tout, les concerts continuaient, quelques artistes y avaient leur atelier et des sans domicile fixe pouvaient y trouver abri.
Quand trois ans plus tard un promoteur a racheté la parcelle, bâtiment après bâtiment, la menace d’une expulsion s’est faite plus précise. En 2014, la chute d’un arbre sur un mur lors d’un concert a accéléré l’évacuation d’un lieu devenu dangereux.
Et au début de cette année les pelleteuses sont arrivées.
La démolition a été particulièrement rapide.
Pendant l’été, le terrain a été confié aux gestionnaires de la Bellevilloise toute proche. Buvette, DJ, bacs à sable, déco bric-à-brac et bâches qui claquent au vent, on retrouve l’ambiance habituelle des friches urbaines qui fleurissent à Paris depuis quelques étés. Une forme de standardisation de l’éphémère.
En octobre les travaux démarreront. Le projet ne paraît pas d’une grande originalité architecturale mais bon…
Oups, petite coquille : les constructions d'origine datent de 1830 et non 1930. Désolée…
RépondreSupprimerTrès bel article, Sophie, plein de références et de très beaux dessins, comme d'habitude, tu vas devenir spécialiste du bulldozer de l'Est Parisien!
RépondreSupprimer