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lundi 12 février 2018

Commerces et commerçants du 17ème arrondissement

[ par Mat Let ]




Bigoudi
Avec le collectif Croqueurs Exquis dont je fais partie, il nous a été proposé d'exposer dans un centre d'animation du 17ème arrondissement.
Je devais donc croquer ce quartier, mais je ne savais pas trop par quel biais l'aborder, car je le connais peu et je n'étais pas au prime abord franchement inspiré par son ambiance.
Et puis je suis passé devant "Bigoudi Coiffure" et cette vitrine un peu surannée m'a immédiatement attiré. C'est ce genre de lieu, qui est là depuis toujours, que l'on oublie un peu, mais qui semble être un vrai point de repère du quartier.
Mon croquis terminé, je rentre dans la boutique pour montrer le résultat à la patronne. L'ambiance est plutôt salon de thé que salon de coiffure, des habituées étant là depuis plusieurs heures semble-t-il à papoter. D'emblée, Bigoudi (son surnom) me propose un café, qu'elle va chercher dans le bar d'à côté.
Et puis elle me raconte sans se faire prier son installation dans le quartier il y a 47 ans, les années fastes et la baisse de l'activité ces dernières années, qui ne l'inquiète pas plus que ça car elle travaille aujourd'hui plus pour le plaisir qu'autre chose. Entre temps, elle salue des passants ("et comment va la petite ?") puis commence à coiffer un jeune client qu'elle semble bien connaître. Elle lui donne des conseils, sur la vie, son travail, en femme d'expérience, qui a tout vu, tout su depuis plus de quarante ans qu'elle veille sur la tête des gens.
Moi dans mon coin, je la croque avec bonheur. Mon instinct ne m'a pas trompé, Bigoudi est bien la mémoire du quartier. On pourrait écrire un livre entier ici... ou plutôt un roman graphique !



Chopra
Cette droguerie m'a sauté aux yeux à mon premier passage rue de Saussure. Dans une vie de Parisien, la droguerie c'est l'endroit où l'on trouve le truc qui va nous sauver la vie (vinaigre blanc, sacs à aspirateur, nouvelle chasse d'eau...) sans avoir à faire des kilomètres pour aller chez Castorama.
Je m'installe donc sous la lumière changeante d'une fin de journée pour croquer d'abord la belle enseigne à l'ancienne, puis les entassements de balais et d'escabeaux qui encombrent le trottoir. Derrière la vitrine, des milliers de produits improbables attendant le client providentiel.
Puis je rentre, à la rencontre du gérant. Chopra (c'est en fait le nom de sa boutique) est né en Inde et il est arrivé en France dans les années 70. Pour lui, à l'époque l'Inde n'investissait pas dans l'éducation et il en a souffert, alors il a travaillé d'arrache-pied pour pouvoir offrir un avenir à ses trois filles. Aujourd'hui, il est rassuré, elles ont toutes fait de belles études et ont "une situation".
Pour Chopra, le savoir est la chose la plus importante car c'est la seule qui nous appartient vraiment, que personne ne peut nous voler.
Pendant que nous discutons - et que je le dessine - des clients entrent avec des demandes plus ou moins saugrenues (de l'anti-mites, un étendoir, de l'encens...). Tout est là. Chopra est toujours d'une politesse et d'une amabilité sans faille. Quand une cliente pose à un moment un produit sur mon aquarelle en train de sécher, il la réprimande gentiment et sauve mon dessin de la catastrophe.
La retraite ? Pas tout de suite, quand on aime son travail, on n'a pas envie de s'arrêter. Mais il pourrait, il a 75 ans ! A croire qu'il a trouvé parmi le capharnaüm (bien organisé) de son commerce le secret de la longévité !


Mariam
J'ai dû mettre les pieds dans un pressing deux fois dans ma vie, mais celui-là m'a plu tout de suite, dans son côté brut, avec les poubelles et les vélos devant. Et puis aussi par la chaleur qui semblait y régner par cet après-midi frisquet.
Je m'installe pour croquer. J'aperçois par la vitrine le ballet des clients et aussi les grands mouvement du fil suspendu du fer à repasser tandis que défilent sans arrêt sur la table chemises et robes.
Au bout d'une heure, croquis fini, je pénètre dans le commerce. Je suis gelé.
Mariam, qui travaille là, m'avait repéré et se demandait ce que je pouvais bien être en train de faire. Elle est un peu méfiante, mais elle aime mon dessin, avec tout ses détails et même elle en train de travailler !
Quand je lui demande si je peux la dessiner, elle me dit d'abord non. Elle ne peut pas s'arrêter de travailler et son patron va sûrement bientôt arriver, ça ferait un peu tâche s'il la trouvait en train de poser.
Nous continuons de discuter. Elle travaille ici depuis 2006, elle a commencé en apprentissage. Elle aime bien le boulot, même si c'est fatiguant et qu'elle a plus d'une heure de transport pour venir. Un jour, oui, elle aimerait bien avoir son propre pressing, mais ce n'est pas pour tout de suite !
Elle finit par accepter que je la dessine, à condition qu'elle puisse continuer à travailler. Pas de problème pour moi ! Enfin si, mais je me débrouille comme je peux !
Au final, elle est contente du dessin, malgré un petit doute - partagé - sur les proportions de son nez.
Quand je quitte Mariam, elle est en train de jongler entre le repassage et les allers et venues des clients. Heureusement, il ne lui reste plus qu'une heure de travail avant la fin du service. Et moi une demi-heure pour rentrer à pied chez moi, dans le 18ème voisin où j'ai bien envie de continuer à aller à la rencontre des commerçants !

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