mercredi 6 juin 2018

Hommage d'un sketcher parisien à un chanteur de Pantin

 [ par Mat Let ]


Entre Jacques Higelin et moi, ces trente dernières années, ce fut une longue série de rendez-vous manqués. Je devais avoir à peine 5 ans, dans les escalators de la géode quand mon oncle me dit « regarde Mat, c’est Jacques ». Je me retourne et lance un regard probablement empreint de ma française arrogance au grand escogriffe derrière moi. Jacques ? Moi je connais pas. « Laisse-le le rêver ! » dit Higelin à mon oncle.

Je crois que j’ai regretté toute ma vie de n’avoir pas su qu’Higelin n’était pas un prénom.
Plus tard, vers 2009, je cours vers chez moi car j’ai oublié mon portefeuille pour aller faire les courses. Et là, rue de Mogador : Higelin, accompagné de son prénom et de quelques personnes. Je m’arrête. Conflit intérieur : portefeuille ? Parler à Higelin ? Lui dire quoi ? A l’époque, je ne manque pas d’excuses pour ne pas suivre mon coeur, ce sera donc portefeuille, en priant qu’il soit encore là à mon retour. Evidemment non.
Et puis 2018. Jacques est mort et tandis qu’on l’enterre en chanson je suis dans un train pour l’Italie. Entre temps, il y a eu de nombreux rendez-vous réussis : la prairie à Caen en 1992, un autre fois au Zénith, puis en 2007 au Bataclan, 2012 au Casino de Paris et une dernière fois, plus difficile, à la Philharmonie de Paris. Jacques ne voulait pas quitter la scène. Il est parti quand même.
Alors hier, sous le soleil du printemps, me voilà devant sa tombe. Enfin, nous pouvons discuter, entre les visites de nombreux fans, parfois éplorés.
Je sais quoi lui dire. Que sa musique m’a accompagné depuis ma naissance, peut-être même avant. Que j’ai toujours puisé dans ses paroles de quoi vivre mes émotions. Qu’ado je m’étais fait une cassette avec ses chansons, allant de Ci-gît un star à Excès de zèle en passant par La rage en d’dans et Dans mon aéroplane blindé, pour me sortir de la déprime. Et que ça marchait. Que longtemps j’ai pensé que « je vis pas ma vie, je la rêve » serait l’histoire de ma vie. Qu’aujourd’hui, je ne rêve plus ma vie, je la vis. Qu’il n’est pas mort, puisqu’il est dans mes oreilles.
Il me répond, narquois, qu’on s’en fout d’être mort quand on a vécu (tu vois). Me dit dans un sourire que je l’ai laissé rêver, l’enfant qui est en moi. Me demande de lui dessiner une chèvre, pour son mouton, tiens. D’aller chercher les allumettes au fond des yeux que je croiserai. Et puis surtout, de ne pas oublier le plus beau cadeau de la vie, la joie.
La cloche retentit. Le cimetière ferme. Je pars, léger, léger, léger. Ce rendez-vous-là, on ne l’a pas manqué.
A bientôt, Jacquot !

Joli moment d'échange de techniques de dessin avec ce jeune homme !

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